Dérim ne nous est pas apparue en un jour. C’est au contact des livres et des peintures qu’on aguerrit son esprit à une telle découverte.
Il y a bien une dizaine d’années de cela qu'Oscar Braque et moi-même y avons effectué notre premier voyage. C’était un accident, un faux pas de la pensée, une synchronisation intermittente de nos deux cerveaux qui nous transporta par une bien curieuse similarisation en cette île que nous prîmes pour un continent.
Oscar Braque y effectua quelques croquis ; il en rendit des premières impressions étranges et chatoyantes. Pour ma part, je couvrais mon carnet d’observations souvent erronées des types et des mœurs du lieu.

Quelques années plus tard, retrouvant nos vieux carnets poussiéreux, je reçus un pincement au cœur. Il y avait là-bas des paysages, des hommes qui m’étaient encore chers. Je m’en ouvris à mon ami artiste. Dans le plus grand secret nous tentâmes de réintégrer les chemins qui mènent à l’île de Dérim…
Le plus sidérant fut la facilité avec laquelle les vieux sentiers se rouvraient, se découvraient. Nous reconnaissions les plantes, l’aspect émouvant de la mer, les montagnes ; nous retrouvâmes la langue si particulière, et également une certaine méfiance envers les étrangers… Exaltés, nous décidâmes de nous y rendre régulièrement pour y noter tout ce que nous pourrions y remarquer de typique et de beau.

Au cours d’un de ces voyages, la rencontre de Cromar fut un événement capital dans la compilation de nos connaissances. Immédiatement amical, c’est lui qui nous a interpellés depuis la terrasse de son boui-boui. Notre allure l’avait frappé.
À mesure que nous lui dépeignions notre monde, il agrandissait ses yeux ; puis il fut pris d’une crise de rire si grande qu’un attroupement se fit autour de nous. Mais, quand il leva sa large main à l’adresse des badauds, la foule se dispersa instantanément. Voilà en deux événements que le mystère de sa personne s’imposait à nos petites consciences.
Au moment des séparations, il nous invita à repasser le voir.
Peu à peu, il nous livra des secrets qu’à nous seuls, d’un autre monde, il pouvait confier.
Lors d’une visite que nous fîmes, je conviai un camarade littérateur, Augustin Roussette, que le tempérament et le style prédisposaient à cette rencontre fabuleuse.
Augustin et moi-même passâmes des heures à recueillir les récits de Cromar ; nous emplîmes nos sacoches d’un fatras de papiers et de notes ; Oscar complétait ses carnets de croquis, repérant là un paysage, ici un détail architectural, croquant une gueule de gredin, capturant les traits d’une belle jeune femme...

Les récits que nous vous transmettons sont la recomposition d’histoires avérées ; nous avons eu, en maintes occasions, l’honneur de rencontrer certains de leurs acteurs ; ces récits sont également la traduction d’une langue imagée et variée, la tentative de retranscrire pour le vaste public l’ambiance qui nous a tant séduits sur l’île de Dérim.

Louis Butin

 

© Oscar Braque, Louis Butin et Augustin Roussette